Nous sommes un beau dimanche matin ensoleillé. J’ai bien dormi, je n’ ai pas été réveillée à l’aurore par la lumière ou par les pies qui poussent leurs cris graves dans le mûrier sous ma fenêtre. Je descends dans la cuisine, fais mon café, prends ma tasse et ouvre la baie vitrée pour aller rendre visite à mon jardin. Mon regard tombe sur le cosmos, dans le bac au bord de la terrasse. Je l’ai planté hier.
– Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
J’approche pour observer la tige presque dénudée. Au sommet de la plante, sur la plus jeune pousse, une mini-limace mâchouille flegmatiquement le peu qui reste.
– Oh non !
Je cours dans l’arrière cuisine, chausse la première paire de bottes à ma portée, et cours jusqu’à la lasagne. Et là, l’horreur m’attend : un cimetière de jeunes plants de cornichons, certains complètement disparus, deux autres agonisants.
C’étaient des plantes que j’étais allée chercher exprès à la ferme de St Marthe. Je les ai bichonnées un peu derrière une vitre, pour les faire grandir encore un peu et mises en terre avec beaucoup de soin, et un peu d’or brun, en soignant bien la lasagne. Hier. C’était hier.
En une nuit, tout mon travail est détruit. Sans parler de l’argent, de l’investissement en temps, du soin apporté au choix des variétés, sans parler de mon espoir de pouvoir faire mes traditionnels cornichons lacto-fermentés maison, envolé en moins de 12 heures.
J’ai pourtant pris des précautions : j’ai ramassé pendant des semaines des coquilles d’œuf de notre poule, que j’ai séchées et cassées, pour les mettre autour des plantes. Les autres années cela suffisait à limiter les dégâts. Tout le monde y a trouvé son compte : les escargots et les limaces, ma famille également en mangeant les cornichons. Là, rien ne reste.
Et l’ancien dilemme revient en force. Que faire ? Je connais les pièges à bière, bien sûr. Mais cela veut dire tuer en masse ces bestioles, qui ont un rôle dans l’écosystème. Je n’ai jamais pu m’y résoudre. Ce n’est pas que je trouve les limaces particulièrement sympathiques, mais quand même, les tuer… En leur tendant un piège…quelque chose ne me satisfait pas. Cela me paraît tellement démesuré.
Une de mes stagiaires, pratiquant également la permaculture, me raconte faire des razzia le soir en ramassant à la main les limaces et les escargots. Je n’ose pas poser la question qui me taraude.
– Et après ? Qu’est-ce que vous faites des limaces ramassées ?
Je me vois me balader avec mon seau rempli d’êtres gluants sur le chemin vers la forêt. Mais c’est un peu loin quand même. Et si je ne les éloigne pas suffisamment, ils vont revenir. Donc, la solution serait de les tuer ? De nouveau, la même impasse.
Mais alors, est-ce que c’est mieux de “louer” un canard indien et le lâcher dans le jardin ? Je délègue le sale boulot? Pour ma bonne conscience ? En fait, ma conscience me dit que cela ne change rien au problème.
Donc, quelles sont mes options ?
- 1. Arrêter de faire du jardinage
- 2. Utiliser des répulsifs – qui ne fonctionnent pas, je les ai déjà tous essayés, en commençant par le neem, en finissant par le marc de café, en passant par les coquilles d’œuf. Peut-être qu’ils sont efficaces par temps sec, certaines années, mais cette année, avec la quantité de pluie qui tombe et qui fait proliférer ces petites bêtes, visiblement ils ne sont d’aucune utilité.
- 3. Se résoudre à les tuer, pour pouvoir garder en vie mes jeunes plants et pouvoir manger des bons légumes de jardin.
Donc au final, il ne me reste que deux options. Soit je fais du jardin, soit je dois accepter l’idée que pour respecter une forme de vie que j’ai choisie, d’autres doivent être limitées. Mais qui suis-je pour pouvoir décider de la vie ou de la mort des êtres vivants ? Si je reste dans ce type de questionnement, l’impasse devient un poids m’écrasant tout entière sous des tonnes de culpabilité et de doutes, et cela m’empêche de vivre tout court.
Je dois donc prendre la question autrement. Du point de vue de la nature. Dans la nature tous les êtres ont une place et tous les êtres doivent se nourrir pour vivre. Je fais partie de la nature, au même titre que l’amibe ou la limace ou mes poules. Je dois me nourrir. Est-ce qu’ils se posent la question si c’est moral de manger mes plantes ou si c’est moral d’attraper ce vers de terre ? Bien sûr que non. Parce que c’est dans l’ordre des choses. Tout le monde est soumis aux mêmes impératifs, manger les autres pour rester en vie. Y compris les plantes. Regardez seulement la différence entre les arbres qui poussent dans un cimetière ou sur un champ de bataille, vous comprendrez vite de quoi ils sont si bien nourries…
Je suis donc juste un maillon de cette chaîne, et tant que je suis en vie, je suis soumise aux règles de la nature, dont je fais partie intégrante. Ma responsabilité est de me nourrir, pour faire mon travail, prendre soin de ma famille et accomplir ce que je suis venue accomplir. Et cela passe donc aussi par l’acceptation que d’autres vont me nourrir et que je serai mangée une fois que j’aurai fini ma mission ici bas. Tout un cheminement !
Je ne sais toujours pas où j’en suis sur ce chemin d’acceptation. En tout cas, j’ai acheté une bouteille de bière. Pour le moment, elle est bien en vue sur le plan de travail pour faire avancer ma réflexion.
Va-t-elle nourrir les limaces ? Ou bien moi ?
Coucou Gabriella
La bière attire les limaces, donc tu devras tuer les tiennes + celles des voisins.
Alors qu’un canard coureur indien transforme ces limaces en œufs bien gras.
Bon courage
Merci Laure 🙂