– Et depuis quand avez-vous ces symptômes d’eczéma et la peau de la main qui gratte ?
– Je ne sais pas trop. Peut-être depuis six mois environ.
– Et avez-vous fait des changements dans votre vie à cette époque ?
– J’ai consulté M. X. Vous connaissez ?
– Non, je ne le connais pas. Et qu’est-ce que vous avez donc modifié à cette époque ?
– Il m’a conseillé de manger des noix du Brésil pour le sélénium.
– Et vous le faites ?
– Oui, je mange chaque jour au moins trois noix. Parfois plus.
Avez-vous déjà observé cette tendance ? Je pratique depuis suffisamment longtemps pour pouvoir constater des modes. Oui, c’est assurément bizarre de parler de mode, quand on parle de nutrition, mais il s’agit bien de cela. Cette dame de 59 ans n’est pas la première dans mon cabinet à énoncer ce type de conseils ou de recommandation, qu’on lit aussi dans les articles de magazine ou sur des blogs ou bien dans les reel sur Instagram ou tik-tok.
Pourvu que vous ayez un ralentissement au niveau de la thyroïde ou des problèmes liés aux cheveux ou ongles, vous avez déjà sûrement rencontré ces conseils en question, qui vous disent de manger des noix du Brésil pour le sélénium.

C’est quoi le réductionnisme nutritionnel ?
Afin de mieux connaître les aliments, nous les étudions, les examinons, les disséquons. Le résultat de ces recherches sont des informations précieuses quant à la teneur en nutriments des aliments et leurs composants. Cela a entre autres aidé à guérir les maladies liées à des carences comme le scorbut ou le rachitisme.
Il y a donc bien des avantages de bien connaître les aliments et leurs composants. Par contre, réduire un aliment à un de ses composants, ou à un bienfait, pose des problèmes.
Le réductionnisme est à la fois une focalisation réductrice sur les nutriments et une interprétation réductrice du rôle des nutriments dans la santé. Dans cet exemple :
Noix du Brésil = sélénium = bon pour la thyroïde
Où est le problème ?— Vous vous demandez peut-être.
Il y en a plusieurs :
- La noix du Brésil a plus d’une centaine de composants connus (et on ne les connaît pas tous !) Ce qui veut dire que quand vous mangez une noix duBrésil, vous mangez au moins 99 autres composants ou substances. Et qui sait, il y en a peut-être certains qui ne vous font pas de bien.
- Les noix du Brésil contiennent des salicylates, des lectines, des phytates parmi d’autres. Et cela peut provoquer chez certains des symptômes.
- Les noix du Brésil, en tant que fruit à coque, peuvent être très allergènes, une consommation quotidienne dans la durée n’est donc pas conseillée.
- Quand vous achetez les noix du Brésil en vrac, avez-vous déjà observé un goût bizarre ? Cela peut être dû à l’oxydation, les graisses contenues dans les noix ne supportent pas très bien l’attente prolongée d’un consommateur averti. Ce qui veut dire que les noix peuvent déjà être rances à l’achat.
- il peut y avoir des moisissures également qui se développent à cause de la température ou de l’humidité. Pour peu que vous réagissiez aux moisissures, cela peut avoir des conséquences fâcheuses.
Tout cela pour dire deux choses :
- Nous ne pouvons pas simplifier et décontextualiser les nutriments des aliments. Bien que connaitre la composition de notre nourriture soit précieux, ces informations ne nous disent pas tout : nous ne pouvons pas en tirer de conclusions si pour nous, ici et maintenant, cet aliment est bon ou pas ; ou bien s’il sera bien accepté par le corps, avec quelle régularité.
En parlant d’une exagération du rôle des nutriments, le risque est une compréhension déterministe des interactions entre les nutriments et la santé. Or, c’est bien plus complexe que cela, que nous le voulions ou pas. Soyons honnêtes : cela n’arrange personne, ni les chercheurs, ni les industriels, ni les professionnels de santé. Par contre, pour vous, comprendre comment votre corps fonctionne et ce qu’il préfère ou ne préfère pas, peut s’avérer essentiel dans votre recherche d’équilibre.
- Et la bonne nouvelle : vous ne devez pas être un expert en études scientifiques pour bien vous nourrir. Le nutritionnisme veut nous faire croire qu’il faut des professionnels pour nous dire comment se nourrir ou bien qu’il faut qu’on monitore notre assiette ou notre sang en continu pour arriver à « bien faire ». Cette vision va de pair avec le marketing, avec le développement des propositions commerciales déguisées en bilans, car forcément, en « éduquant » le public, le nutritionnisme crée la demande et sensibilise les consommateurs aux allégations.
J’ai tendance à penser que l’humanité a survécu pendant suffisamment longtemps sans conseils diététiques et analyses poussées pour s’aventurer à dire qu’à la base, ce n’est pas une condition nécessaire pour la survie de l’humanité. (bon, si on va devoir habiter sur Mars, là, il va falloir qu’on étudie la question de très près… Mais justement, peut-être qu’en prenant soin de notre planète Terre, en prenant soin de tous ses habitants, en pratiquant une agriculture biologique et régénératrice, cela pourrait-être évité. )
Ce qui est nécessaire en revanche, c’est de bien choisir la qualité. Car malheureusement, l’industrie agro-alimentaire a mis la main sur les semences, les variétés choisies, nos habitudes alimentaires ; elle a falsifié nos aliments, a créé des faux-besoins, des aliments de confort, les aliments super-palatables addictifs et a tellement dépouillé les produits bruts de leurs nutriments lors de transformations poussées qu’elle est obligé de les colmater avec des versions synthétiques des vitamines après fabrication. Donc, il ne faut pas choisir des produits ou des nutriments isolés, mais de la nourriture : des aliments capables de nous nourrir, pas seulement de nous remplir le ventre.
Deux chemins s’ouvrent donc devant vous
– soit vous vous intéressez à la nutrition et vous pouvez utiliser les informations que vous lisez pour tester si cela vous convient ou pas. Vous savez que votre corps est unique, et peut-être qu’il n’est pas d’accord avec la dernière mode que vous venez de rencontrer. Et ce qui est bien, c’est qu’il vous le dira. Par exemple sous forme d’eczéma. 😉
– soit vous ne vous intéressez pas à la science de la nutrition, et à ce moment-là, gardez les bonnes habitudes d’acheter des produits bruts, locaux et de saison, élevés ou produits dans le respect de tous les habitants de la planète, et cuisinez-les maison. Vous trouverez une infographie pour vous aider ici. Et si vous avez manqué la transmission culinaire dans votre famille, aujourd’hui vous pouvez trouver aisément des grand-mères ou des chefs qui partagent leurs secrets sur youtube, ou bien des copains-copines ou des voisins pour organiser un atelier cuisine et partager des recettes de base.
Et sachez qu’il y a du sélénium ailleurs que dans les noix du Brésil, comme dans les poissons, les crustacés, les œufs, la viande, les abats et d’autres végétaux.
Mais bien sûr, on ne les mange pas pour manger du sélénium.
Mais pour se nourrir. 😉

“Vous pouvez analyser le tout dans ses parties constituantes, et c’est une entreprise tout à fait valable. Mais alors vous avez des parties, pas le tout. Vous pouvez démonter une montre et analyser ses parties, mais elles ne vous diront pas l’heure qu’il est.” Ken Wilber
PS : Je pourrais faire le même article avec plein de variantes : remplacez le sélénium avec les fibres, les oméga 3, le magnésium, les protéines végétales ou toutes autres de votre choix. L’essentiel reste le même.