Dans son nouvel article (voir le lien ci-dessous) Marty Kendall d’Optimising Nutrition nous donne un petit aperçu des grandes tendances nutritionnelles depuis 1900. Ce qui me semble très intéressant, car il y a de quoi alimenter la réflexion vu les données qu’il a collectées.
L’un des chevaux de bataille de Marty est la densité nutritionnelle, pour expliquer entre autres pourquoi et comment atteindre la satiété plus facilement et durablement. J’ai ma propre vision sur le sujet à travers les profils et l’individualisation, et nous travaillons avec mes clients justement dans le but de repérer ce qui les nourrit le plus. Les informations transmises dans l’article sont malgré tout intéressantes, notamment en ce qui concerne la perte des minéraux et des vitamines en raison de l’appauvrissement des sols à cause de la fertilisation et de la transformation industrielle. La corrélation entre la quantité consommée et la présence de nutriments semble avoir un rôle à jouer dans le problème du surpoids dans nos sociétés occidentales : moins un aliment est dense, plus on en mange, et la corrélation entre le nombre de calories consommées et le surpoids et l’obésité est plus qu’évident selon les diagrammes.
Bien entendu ces données proviennent des Etats-Unis, mais vu l’évolution du surpoids en France et le changement des habitudes alimentaires nous pourrions en tirer des conclusions pour la prévention.
Tendances nutritionnelles
Dans l’article il ne s’agit pas des régimes à la mode végétalienne, paléo, carnivore ou à faible teneur en glucides (low carb), mais plutôt de tendances à long terme qui ont été influencées par:
- les guerres mondiales et les dépressions,
- la politique et les subventions du gouvernement
- les changements de paradigme dans la transformation des aliments,
- les engrais à base de combustibles fossiles, et
- les arômes artificiels et édulcorants pour masquer le manque de goût ( et donc de nutriments !).
En raison de ces événements, les données à long terme montrent qu’il y a eu beaucoup de changements dans notre apport en micronutriments et en macronutriments, par le biais des modifications des techniques agricoles et de l’utilisation répandue des édulcorants artificiels. La nourriture est devenue plus abondante et plus savoureuse. Cependant, ce que nous mangeons est plus pauvre en micronutriments (par exemple, la vitamine A et des minéraux tels que le phosphore, le calcium, le potassium, le sodium et le magnésium). L’auteur pense qu’une partie de la réponse pour expliquer l’ épidémie d’obésité réside dans l’appauvrissement en nutriments de notre alimentation et donc dans une augmentation de notre consommation de calories, qui peut être observée au cours des quatre dernières décennies.
Avec la diminution de la densité nutritionnelle, notre appétit augmente et nous consommons plus de nourriture pour obtenir les nutriments dont nous avons besoin.
Un peu d’histoire
Nous allons commencer l’histoire en regardant la production alimentaire. Le 20ème siècle a été une période d’innovation technologique et d’industrialisation rapides, avec l’arrivée des pesticides, des engrais et des additifs alimentaires pour nourrir la population croissante.
Les cinquante premières années du XXe siècle ont été dominées par des événements mondiaux désagréables, parmi lesquels la première guerre mondiale, la grande dépression, la seconde guerre mondiale, et côté américain la guerre de Corée et la guerre du Vietnam. Après quelques années maigres de la grande dépression et de la seconde guerre mondiale, l’Amérique est devenue le pays le plus riche du monde. Un homme affamé qui trébuche dans un buffet à volonté!
Vous avez probablement déjà entendu des passages de cette histoire, je vais faire court. Dans les années 50, on a découvert lors d’autopsies des soldats, des signes d’accumulation de plaque dans leurs artères, supposés être dus à un taux de cholestérol élevé dans l’alimentation. Aujourd’hui nous savons que la consommation du cholestérol alimentaire influe que très peu sur le cholestérol sanguin mais après la mort du président Eisenhower d’une crise cardiaque dans son bureau en 1955, le cholestérol devint l’ennemi public numéro un.
La très célèbre étude sur sept pays d’Ancel Keys a débuté en 1956, elle pointe la responsabilité des graisses saturées dans les maladies cardio-vasculaires – à tort, on le sait aujourd’hui. (si ce n’est pas clair pour vous, faites une recherche sur le Web sur « critique Ancel Keys sept pays », vous tomberez sur pléthore d’articles sur le sujet ou bien vous pouvez lire une analyse plus poussée sur le sujet vaste des recommandations nutritionnelles erronées dues à une mauvaise interprétation des données ou un manque d’information).
Le changement
En 1977, des directives diététiques ont été publiées recommandant moins de gras, moins de cholestérol, des glucides moins raffinés et transformés, et plus de fruits, de légumes et de céréales complètes, mais aussi moins de viande grasse, moins d’œufs et produits laitiers. Les Américains ont coupé leur apport en cholestérol pendant des décennies, mais malheureusement ces changements en faveur d’une consommation réduite de gras, l’augmentation de la consommation des produits plus « light » n’ont pas arrêté l’évolution des taux d’obésité : bien au contraire, ils ont flambé dans la direction opposée à celle qui était attendue.
A partir des années 30 les agriculteurs utilisent de plus en plus d’intrants, et après la guerre de Vietnam les prix des denrées alimentaires ont flambé. Le président Nixon a poussé les paysans à agrandir leurs exploitations, et aussi à utiliser un arsenal de produits chimiques pour arriver à produire plus et faire descendre les prix. Les plantes et les animaux aux croissances plus rapides n’avaient plus la même saveur et c’est là ou l’industrie est venue en renfort : en s’associant aux chimistes, ils ont résolu le problème en ajoutant …. le goût manquant via des arômes et des additifs de toutes sortes.
Les fabricants de produits alimentaires n’avaient alors plus besoin que les produits vendus contiennent des nutriments, ils avaient seulement besoin de goût ! On ajoutait des intrants chimiques aux aliments de piètre qualité, produits rapidement et à grande échelle, et voilà, le tour était joué, ni vu ni connu. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, je vous conseille la lecture édifiante du livre de Hans Ulrich Grimm : Arômes dans notre assiette ou bien encore Le mensonge alimentaire.
Puis Robert Atkins a publié son New Diet Revolution en 1992, qui conseillait de manger moins de glucides et manger plus de graisses sans crainte. En réponse, l’industrie alimentaire a fait ce que toute organisation intelligente à but lucratif ferait. Il a pivoté pour donner au public ce qu’il voulait: plus de goût avec moins de sucre : l’ère des édulcorants et des produits light a commencé. Les aliments d’aujourd’hui sont les produits de l’agriculture moderne, et de l’ingénierie du goût à l’aide de la technologie modernes et les édulcorants artificiels ou « naturels ».
J’insère ici une petite réflexion personnelle. Dans la pleine conscience, on dit qu’il n’y pas de bon ou de mauvais aliment. Je suis tout à fait d’accord, si on définit comme aliment quelque chose qui a été produit ou élevé dans des conditions naturelles, sans intrants, dans le respect de son rythme naturel et de ses besoins (qui a donc beaucoup de goût !) et qu’on achète brut pour le transformer ou le cuisiner à la maison. Vous voyez bien après ce dernier paragraphe, que ce concept « food is just food » n’est pas applicable pour les produits transformés industriellement, qui manipulent les goûts, notre attirance et dont le seul but est de vendre encore plus…
Les macronutriments
Marty recherche une explication pour savoir pourquoi nous mangeons de plus en plus et pourquoi nous sommes de plus en plus lourds. Il montre que la consommation de protéines est assez stable, que les graisses augmentent doucement, que les glucides ont d’abord baissé puis sont revenus au niveau du début de siècle et que notre consommation totale de calories ne cesse d’augmenter. Nous mangeons donc plus, nous ingérons davantage de calories et nous sommes plus lourds !
Les micronutriments
Après les protéines, les graisses et les glucides, il analyse les changements dans les micronutriments. La vitamine A liposoluble est essentielle à la vision, à la reproduction et à la fonction immunitaire normale. Elle se trouve dans le foie, le poisson, les œufs et les produits laitiers. Malheureusement, sa consommation ne cesse de baisser. Pourquoi ? Il se trouve que les aliments qui la contiennent sont également pleines de graisses saturées ! Nous avons donc été encouragés à ne pas en manger. Aujourd’hui, vous devez manger 2650 calories par jour pour obtenir la quantité recommandée de vitamine A, contre 1550 calories au milieu des années 70.
La consommation de phosphore (présent dans les aliments riches en protéines tels que la viande, le poisson, les noix, les haricots et les produits laitiers) a diminué depuis le milieu des années quarante. Les sources d’origine végétale sont également moins biodisponibles que les sources d’origine animale. Aujourd’hui on a besoin de manger plus pour couvrir nos besoins!
Les apports en vitamine B12, calcium, potassium, sodium et magnésium ne cessent de diminuer depuis les années 70. Un chiffre parlant juste pour illustrer le propos : nous devrions manger entre 4000 et 5500 calories par jour pour subvenir à nos besoins de ces micronutriments. (je vous rappelle que les recommandations officielles indiquent autour de 2000 pour une femme et 2500 calories pour une homme suivant l’âge et l’activité physique : on parle bien du double !). Et si vous pensez que nous n’avons qu’à nous complémenter et prendre des gélules, détrompez-vous, l’effet, l’absorption et l’utilisation ne sont pas du tout les mêmes ! (je prépare un article à part sur ce sujet, stay tuned)
L’enseignement ?
- Les données à long terme montrent qu’il y a eu un changement de fond de notre alimentation dû à l’économie, les subventions gouvernementales, les technologies agro-alimentaires comme par ex.des arômes et des édulcorants.
- La nourriture est devenue de plus en plus abondante et savoureuse, cependant, les aliments sont moins riches en vitamines, en potassium, sodium et magnésium.
- Évoquer la densité nutritionnelle peut nous éclairer partiellement sur le sujet du surpoids et des habitudes de consommation.
- Avec une diminution de la densité nutritive, notre appétit augmente et nous consommons plus que nous ne le ferions normalement pour obtenir les nutriments dont nous avons besoin.
A la lumière de ces informations, vous comprendrez pourquoi la qualité des aliments, un mode de production biologique dans le respect de l’homme, du sol et de la nature est non seulement une question d’écologie mais également de santé publique. Ce n’est pas un point de détail, et même si cela semble simpliste de recommander des nourritures vraies* et de réhabiliter les vrais aliments** il y a des données scientifiques pour expliquer ces choix, on est loin de la mode ou des lubies d’une population bobo.
Par où commencer ?
Commencez par regarder cette vidéo et mettez en place petit à petit des changements dans la durée.
L’article complet : https://optimisingnutrition.com/2019/03/19/the-biggest-trends-in-nutrition/
Les images viennent du site Optimising Nutrition.
Les données pour les nutriments proviennent de USDA Economic Research Service , les données macro- et micronutriments utilisées et sur l’évolution du poids de Centres for Disease Control and Prevention.
A lire :
*Taty Lauwers, Nourritures vraies, Aladdin, 2018
H.U. Grimm, Le mensonge alimentaire, Guy Trédaniel, 2016
**Michael Pollan, Manifeste pour réhabiliter les vrais aliments, Thierry Souccar, 2013