J’étais épuisée quand je posais mes sacs de courses dans l’entrée. Il faisait beau, le soleil faisait un coucou timide à travers la baie vitrée parsemé de tâches de museaux et de becs. Je suis partie en pleine énergie pour faire mes courses, et voilà, une heure après, je me retrouve avec les bras qui tombent et le moral dans les chaussettes.
Le stress lié à la peur a siphonné ma joie de vivre, me laissant grise et tremblante comme une crevette non cuite.
Un instant !
La peur ?
En faisant les courses ?
Non, mais, je rêve là !
Au milieu du salon, en traînant mes totebags sur le sol, en un éclair, la pensée me traverse : après ces années de travail, malgré tout ce que je transmets, je peux encore ressentir cela : Une honte par peur que quelqu’un voit le contenu de mon panier ?
A la reconnaissance de cette pensée, je remémore mes choix, mes valeurs, le message que je transmets en formation, en consultation, dans mon livre et dans mes écrits. Et je me redresse.
J’ai mis des années à arriver à une posture ouverte, tolérante et joyeuse en matière de nourriture. Il y a une longue histoire à la fois personnelle et professionnelle derrière.
Moi aussi, comme la plupart des jeunes idéalistes, quand j’ai commencé à m’intéresser à l’écologie et à l’alimentation saine, je me suis créée une vision comment il faudrait faire pour BIEN faire.
J’ai même pensé que tout le monde devrait faire la même chose.
Une petite liste ?
Tiens, par exemple :
- Il ne faut pas manger des produits laitiers, c’est pour les veaux
- il ne fait pas manger de viande ou au moins pas de la viande rouge
- il faut manger sans gluten
- il faut manger sans sucre
- il faut manger cru
- il faut manger que ce qui pousse à 50 km autour
- ….. et ainsi de suite
Je me suis donc efforcée d’atteindre cet idéal imaginé.
Et puis la vie a eu la bonté de m’expliquer les choses à sa manière :
Après deux ans de ce régime, je me suis retrouvée amaigrie, avec les côtes visibles, la peau sur les os, en dépression et en burn out, avec des cheveux qui tombaient par poignée, incapable de me lever de mon lit.
Bien sûr, avec mes connaissances d’aujourd’hui, je dirais que c’était tout à fait logique : je fais partie des gens, qui, métaboliquement parlant, sont inadaptés à ce type de régime, sans parler du fait que j’étais une femme active, en âge de procréation. D’où la dégringolade rapide de ma santé.
J’ai failli me tuer pour mes idéaux. Et ça, encore, je me le suis pardonnée. Ce chemin-là m’a amené très loin, dans l’acceptation de ma condition humaine, dans la compréhension de l’interdépendance de l’humain avec son environnement ainsi que sur un nouveau chemin professionnel.
Ce que je peine à accepter, c’est que cela a des répercussions sur la santé de mes enfants. Oui, le présent est de rigueur. Puisqu’à l’époque, j’allaitais l’une, puis j’étais enceinte de l’autre. Et malheureusement, mes choix en matière d’alimentation ont influé sur leur santé, dont des traces restent visibles. Je dois faire avec. Je sais que c’étaient mes choix avec les informations dont je disposais à l’époque et je pensais bien faire, pour moi, pour eux et pour la planète. Hélas, je n’avais pas les bonnes informations. Je me suis soumise aux culpabilisations tout venant, aux images qui vous prennent aux tripes, et vous asphyxient à l’aide d’émotions négatives, en vous laissant juste conserver une coquille vide, certes, encore opérationnelle à ses débuts, mais déprimé par l’ampleur de la tâche et le sentiment d’impuissance.
Heureusement, j’ai rencontré Brigitte Fichaux en formation, qui a posé les bases pour que je sorte de mon enfermement volontaire et auto-destructrice. Puis j’ai rencontré Taty Lauwers dont les recherches donnaient des explications scientifiques pour mon vécu et les problèmes de santé de mes enfants.
Et après tout ce travail (et de souffrances, il faut être honnête), après ces réflexions profondes, les rencontre de tout genre (je salue plus particulièrement les éleveurs locaux, des visiteurs de mes conférences, les yogi et maîtres que j’ai eus la chance de croiser), après toutes ces rencontres, conversations, éclairages, je suis là, en face de mon panier et je ressens une honte ?!
Il y a un truc que je n’ai pas vu jusqu’ici.
Le pouvoir des normes.
Oui, les normes. Y compris dans le monde alternatif.
Pendant ces moments de courses, elles se sont repointées leur bout de nez, de nouveau, je ne sais pas pour quelle raison.
Dans l’entrée, je lève ma tête et je relâche mes épaules : il y a quinze ans, après cette dégringolade, je suis arrivée à la conclusion que je peux être plus utile vivante, que morte. Que je peux transmettre un message de tolérance et pleine de nuances au sujet de la nourriture, les besoins personnels, une vision sans œillères de l’écologie. Je peux aider des jeunes, comme j’étais, sensibles, courageux.ses, engagé.es, à réconcilier leur vision avec leurs besoins physiques.
Sans en pâtir, comme moi.
Et sans faire peser un tribut lourd sur leur descendance.
De clamer haut et fort qu’il n’y a pas une seule bonne façon de faire, en matière de course, de nourriture. Qu’il n’y a pas de vérité absolue en matière d’écologie et ceux, qui prennent en cible nos émotions, en nous culpabilisant, en nous jugeant, en nous disant qu’il faut manger ci et pas ça, se trompent lourdement. J’entends, bien sûr, que leur souci, c’est l’urgence climatique et l’amour de la vie. Moi aussi j’ai ces valeurs et j’y œuvre tous les jours. J’ai juste choisi d’autres moyens, qui me respectent et qui respectent les autres et leur point de vue.
Je reprends mes tote bags, je les place sur mes épaules et je commence à traverser le salon.
Non, je refuse d’avoir honte du contenu de mon panier. J’achète des produits locaux, de saison, de qualité, dans le respect de tous les habitants de la planète.
Je lève la tête et le poids de mes sacs s’allège.
Je range les courses en fredonnant dans l’arrière-cuisine.
Je sens ma droiture et je sais que la prochaine fois que le poids des normes me rendra visite lors des courses, je lui indiquerai joyeusement la porte de sortie.
Avez-vous déjà vécu des moments semblables ? Dans quelles circonstances ?
Partagez avec nous dans les commentaires, et cultivons la tolérance ensemble pour qu’elle puisse grandir.
Articles annexes :
Devenez Régénétarien : https://www.alimentation-integrative.fr/devenez-regenetarien-ou-comment-vous-sauverez-la-planete/
J’ai écrit sur la nécessité de cultiver la tolérance https://www.alimentation-integrative.fr/cultivons-la-tolerance/ ou partagé une infographie sur comment faire face aux radicalisations des discours https://www.alimentation-integrative.fr/5-cles/
et un autre article sur la santé des femmes
https://www.alimentation-integrative.fr/la-destruction-massive-des-femmes-par-des-bonnes-intention/